• LE COIN LECTURE

    LE COIN LECTURE

  • Rien ne change, des femmes tombent d'un coup paralysées, le coeur arrêté, la neige peu à peu les recouvre. C'est Noël, un des 365 jours de l'année régulière, les SS comptent les prisonnières, les recomptent sous les projecteurs, et la nuit verse dans le jour à l'égal des autres nuits. Comme la veille mais plus longtemps tu as les cils gelés, tu ne sens plus ta bouche, plus rien que le fond ardent de ta gorge, tu ignores comment tu tiens debout encore, et tu te dis que tu as durci peut-être car tu ne sens plus l'effort : tu es à la lisière du sommeil, parfaitement engourdie et statique, parmi les quarante mille femmes. Moins 45 jours. Tu penses que tu manques la tétée de James. Qu'aucune de ses nourrices ne peut sortir des rangs. Tu penses qu'arrive 1945, qu'on chantera dans le dortoir au soir du 31 décembre, tu écriras peut-être une partition pour la chorale. Ce sera un jour ordinaire. Moins quarante jours, Appell et givre matinal. Tu cherches Teresa des yeux. Tu lui souris. Elle te sourit, la bouche fermée à cause du trou de sa dent tombée. Cette coquetterie t'émeut aux larmes. Une bombe au phosphore paillette l'horizon. Vous grelottez. Vos mâchoires font mal. Vos gencives saignent. N'empêche, rien ne change : vous êtes debout.


  •   Un éclair cisailla la nuit, suivi du craquement assourdissant de la foudre. Le bruit fit trembler les vitres. Comme un coup de projecteur brutal, l'éclair lui révéla qu'il y avait quelqu'un. Assis au bord du bassin, les jambes de son pantalon trempant dans l'eau, il était d'abord passé inaperçu, car l'ombre du grand arbre au centre du jardin l'engloutissait. Un jeune homme... Incliné sur la marée flottante des poupées, il les contemplait. Bien qu'il fût à une quinzaine de mètres, Oliver devina son regard perdu, hagard, et sa bouche ouverte.

        La poitrine d'Oliver Winshaw n'était plus qu'une chambre d'écho où son coeur cognait tel un percussionniste endiablé. Que se passait-il ici ? Il se précipita vers le téléphone et arracha le combiné à son support.


  • Paroles de la chanson, ici.


  • Un roman fémininLes pièces de tissu défilent dans la machine, manipulées par des mains qui ne sont autres que les miennes. À force d'habitude, de mécanismes répétés, elles ne m'appartiennent plus. Chemises d'homme. Blanches. Pour un client anglais. À expédier dans 4 jours. 900 pièces. Nouveau modèle, nouveau tissu, nouveau slogan dans l'atelier. Votre ardeur au travail vous offre le meilleur des contentements. Des slogans en forme d'horoscopes. Pourtant ce sont les phases de commandes qui rythment nos vies, et non celles de la lune. Toujours ce petit temps d'attente lorsque la découpe nous passe ses premiers ballots et que nous peinons à prendre le rythme. On y est maintenant. D'ici quelques heures, une fois que nous aurons cette coupe en main, nous gagnerons encore des secondes sur le temps de réalisation. J'aime cette sensation que nous avons parfois, quand ça marche bien, de ne plus faire qu'un dans l'atelier. A l'unisson. Mais aujourd'hui, je décroche, je n'arrive pas à suivre... L'impression d'être directement passée du lit à la machine, mon corps toujours engourdi. Les copines du dortoir ont cru que j'avais encore mal au ventre. Problème de dos, nausées, yeux irrités... Dortoir ou dispensaire, il est parfois difficile de savoir. Mère disait toujours que j'étais solide comme un gars. Mais les gars ne sont pas tellement plus vaillants que nous quand il s'agit d'enchaîner les nuits blanches pour finir une commande.


  • Humour noir   Allan allait avoir droit à un petit déjeuner composé d'autre chose que de porridge ! Ça, c'était une sacrément bonne nouvelle ! Quand il fut assis à la table de la cuisine, il se dit qu'il était même prêt à entendre la mauvaise.

       - La mauvaise nouvelle, dit Julius en baissant un peu la voix, c'est qu'avec tout ça on a oublié d'éteindre la chambre froide avant d'aller se coucher hier soir.

       - Et alors ? s'enquit Allan.

       - Et alors, le gars à l'intérieur est un petit peu mort à l'heure qu'il est.

       Allan se gratta la nuque, l'air soucieux, puis il décida de ne pas laisser l'information gâcher une journée qui commençait si bien.

       - C'est ballot, dit-il, mais je dois dire que ces oeufs sont cuits à la perfection, ni trop durs, ni trop baveux.