• Un roman fémininLes pièces de tissu défilent dans la machine, manipulées par des mains qui ne sont autres que les miennes. À force d'habitude, de mécanismes répétés, elles ne m'appartiennent plus. Chemises d'homme. Blanches. Pour un client anglais. À expédier dans 4 jours. 900 pièces. Nouveau modèle, nouveau tissu, nouveau slogan dans l'atelier. Votre ardeur au travail vous offre le meilleur des contentements. Des slogans en forme d'horoscopes. Pourtant ce sont les phases de commandes qui rythment nos vies, et non celles de la lune. Toujours ce petit temps d'attente lorsque la découpe nous passe ses premiers ballots et que nous peinons à prendre le rythme. On y est maintenant. D'ici quelques heures, une fois que nous aurons cette coupe en main, nous gagnerons encore des secondes sur le temps de réalisation. J'aime cette sensation que nous avons parfois, quand ça marche bien, de ne plus faire qu'un dans l'atelier. A l'unisson. Mais aujourd'hui, je décroche, je n'arrive pas à suivre... L'impression d'être directement passée du lit à la machine, mon corps toujours engourdi. Les copines du dortoir ont cru que j'avais encore mal au ventre. Problème de dos, nausées, yeux irrités... Dortoir ou dispensaire, il est parfois difficile de savoir. Mère disait toujours que j'étais solide comme un gars. Mais les gars ne sont pas tellement plus vaillants que nous quand il s'agit d'enchaîner les nuits blanches pour finir une commande.


  • Humour noir   Allan allait avoir droit à un petit déjeuner composé d'autre chose que de porridge ! Ça, c'était une sacrément bonne nouvelle ! Quand il fut assis à la table de la cuisine, il se dit qu'il était même prêt à entendre la mauvaise.

       - La mauvaise nouvelle, dit Julius en baissant un peu la voix, c'est qu'avec tout ça on a oublié d'éteindre la chambre froide avant d'aller se coucher hier soir.

       - Et alors ? s'enquit Allan.

       - Et alors, le gars à l'intérieur est un petit peu mort à l'heure qu'il est.

       Allan se gratta la nuque, l'air soucieux, puis il décida de ne pas laisser l'information gâcher une journée qui commençait si bien.

       - C'est ballot, dit-il, mais je dois dire que ces oeufs sont cuits à la perfection, ni trop durs, ni trop baveux.


  • En 2004 , dans le cadre du Plan de Développement de la Lecture Publique, le Conseil Général souhaite développer  une action forte en direction des jeunes de milieu rural éloignés du livre et de la lecture, intégrée au Plan de lutte contre l'illettrisme.

    C’est la naissance d’ADOS D’MOTS.

     

    Ados d'mots, le recueil des textes des élèves de 4ème A

     

    Cliquez sur le livre pour le feuilleter

     

    Ecrire...

     

    Écrire. Écrire pour obéir au besoin que j'en ai.

    Écrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.

    Écrire pour ne plus avoir peur.

    Écrire pour ne pas vivre dans l'ignorance.

    Écrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.

    Écrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.

    Écrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m'aimer.

    Écrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.

    Écrire pour déterrer ma voix.

    Écrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m'unifier.

    Écrire pour épurer mon oeil de ce qui conditionnait sa vision.

    Écrire pour conquérir ce qui m'a été donné.

    Écrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.

    Écrire pour devenir toujours plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.

    Écrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.

    Écrire pour m'employer à devenir meilleur que je ne suis.

    Écrire pour faire droit à l'instance morale qui m'habite.

    Écrire pour retrouver - par delà la lucidité conquise - une naïveté, une spontanéité, une transparence.

    Écrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.

    Écrire pour savourer ce qui m'est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.

    Écrire pour agrandir mon espace intérieur. M'y mouvoir avec toujours plus de liberté.

    Écrire pour produire la lumière dont j'ai besoin.

    Écrire pour m'inventer, me créer, me faire exister.

    Écrire pour soustraire des instants de vie à l'érosion du temps.

    Écrire pour devenir plus fluide. Pour apprendre à mourir au terme de chaque instant. Pour faire que la mort devienne une compagne de chaque jour.

    Écrire pour donner sens à ma vie. Pour éviter qu'elle ne demeure comme une terre en friche.

    Écrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d'une société malade.

    Écrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable. Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de le révéler à lui-même. De l'aider à se connaître et à cheminer.

    Écrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.

    Écrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j'accède à  l'intemporel, l'impérissable, le sans-limite.

    Charles Juliet

    extrait de "Ecrire", dans Il fait un temps de poème, anthologie d'Yvon Le Men, Filigranes éditions, 1996.

     

     

    Ecrire pour apprendre la vie

    Ecrire pour s'envoler dans un monde imaginaire

    Ecrire pour imaginer

    Ecrire pour partager notre bonne humeur

    Ecrire pour effacer l'obscurité et faire exploser les couleurs

    Ecrire pour penser

    Ecrire pour se libérer de ses pensées

    Ecrire pour dire ce qu'on ressent

    Ecrire pour mieux dire

    Ecrire pour déverser nos pensées dans un océan de couleurs

    Ecrire pour le plaisir

    Ecrire pour vider cette tête si pleine d'images

    Ecrire pour apprendre à réfléchir

    Ecrire pour ne plus avoir de remords

    Ecrire pour oublier les douleurs de la vie

    Ecrire pour me créer mon univers

    Ecrire pour évacuer ses peines, ses joies et ses douleurs

    Ecrire pour laisser une trace dans le livre du monde

    Ecrire pour oublier les peines de sa vie

    Les 4ème A

     

     

     


  • On n'avait pas voulu de lui aux mines, ni dans les fonderies, encore moins dans les ateliers de tréfilerie ou d'étamage. Il était bien trop jeune. Depuis des mois, l'Evanoui dormait aux portes de la ville, dans l'habitacle d'un tank soviétique démantelé, calciné, réduit à l'ossature. Même pour gagner moins d'un dollar par jour, le travail l'accaparait du matin à la nuit tombante. Il s'était mêlé un temps aux castes des brosseurs de souliers et des laveurs de pare-brise, malgré les disputes et l'emprise féroce des entremetteurs, ceux qui prêtaient les caisses à cirage. Très vite, des jeunes gens en pantalon de treillis et baskets de luxe lui proposèrent de livrer des paquets de résine d'opium sous le nez des forces de police. Ces intermédiaires qui l'embauchaient au coup par coup se délestaient sur lui de l'essentiel de la mission dont quelque caïd les avait chargés. Ils ne lâchaient d'ailleurs aux petits coursiers qu'une part infime de leur rétribution. Les gosses étaient nombreux à tout risquer pour quelques afghanis. Comme partout où l'économie de guerre encourage les pires trafics, la pusillanimité des adultes s'appuyait largement sur cette main-d'oeuvre privée de recours. Les cohues juvéniles courant en tous sens ou hélant le chaland donnaient aux rues un air de fausse gaieté ; cette explosion de jeunesse affairée à survivre sous l'oeil d'ancêtres aux allures de momies n'avait d'autres circonstances que l'intangible vitalité d'un peuple.


  • [...], j'ai piqué du nez en cours d'histoire. Pourtant, j'ai lutté, je le jure, mais ces cours sont vraiment lourds. Je me suis pincé la paume de la main jusqu'au sang, je me suis frotté les yeux, j'ai changé de position régulièrement, mais rien à faire : ma tête plongeait vers la table toutes les cinq secondes. Comme si on me filait un sale coup dans la nuque pour me la faire tomber. Finalement, le prof s'est vexé. Je me suis fait expédier en perm, où j'ai dû bosser sur le sens de l'Histoire. Quel  con quand même ce prof, frustré du ciboulot qui se prend pour un philosophe. Et fallait voir son petit sourire satisfait ! Franchement, j'avais envie de lui envoyer ma chaise dans la tête. Le sens de l'Histoire, le sens de l'Histoire. Ça n'a pas de sens l'Histoire, on croit que l'humanité avance mais elle fait des tours sur elle-même et refait les mêmes conneries. Une guerre par-ci, une dictature par-là. Et le sens de la justice, par où il va ? On ne le voit jamais...

    [...] Il n'y a que la Ni qui tienne la route. Les autres sont transparentes, je passe au travers sans m'arrêter. La Ni, Ninon ma douce, mon oiseau léger. Je pourrais lui faire des déclarations d'amour à volonté, mais je me tiens dans le non-dit. Elle sait, je sais. C'est bien aussi de ne pas dire. Les mots flottent autour de nous, nous enveloppent et nous protègent. Pas besoin de barrières. Personne ne s'approche. La Ni n'est pas géniale, elle n'est pas magnifique. Elle est. Pas besoin de prouver quoi que ce soit : tout est en place, à disposition. C'est sans doute ce que les gens appellent "une personne entière". Il faut tout prendre ou tout laisser. Moi, j'ai tout pris. Je n'ai pas pu faire autrement.