• Le courrier, c'était le truc qu'on espérait tous...

    [Sans titre]

    Il y avait tant de choses que je ne savais pas quand je suis parti.

    Et tant de choses que je savais.

    Je n’avais pas l’habitude d’écrire. Maman me tannait tout le temps pour que j’envoie des petits mots de remerciement à la famille quand on recevait des cadeaux d’anniversaire ou de Noël – une famille qui ne venait jamais nous voir et qu’on n’allait jamais voir. Mais au Vietnam, le courrier, c’était le truc qu’on espérait tous. Qu’on appelait de tous nos vœux. Il n’y avait pas de cabines téléphoniques. Si on voulait recevoir une lettre, il fallait d’abord en expédier une. Je me montrais prudent lorsque j'écrivais à ma mère. Je ne voulais pas l’inquiéter ; ce que je ne pouvais pas lui dire, je le disais à Bill. Et pour la première fois de ma vie, j’ai terminé mes courriers par « Je t’aime ».

    Je n’ai pas écrit à Rosemary et Ernie. Je ne leur ai même pas dit au revoir. C’est nul, surtout après tout ce qu’ils ont fait pour moi. Je me doutais bien, quand j’avais signé, qu’ils tenteraient de me raisonner. Or je ne voulais pas. Je n’avais pas un sou en poche et il fallait que je trouve un moyen de me tirer d’Olina.

    Les Morriseau ne se sont jamais vraiment étendus sur leur expérience dans l’armée. Rosemary en parlait un peu. Ernie, presque pas. Il avait des médailles mais je ne les ai jamais vues. Souvent, je l’imaginais sous les traits d’un de ces gars dans les films sur la Seconde Guerre mondiale qu’on regardait avec Bill. John Wayne se battant pour sauver sa peau à Bataan. Des histoires de tripes et de gloire.

    Les tripes, c’est pas ça qui manque ici, mais la gloire, mon cul. Il y a des tripes couvertes de mouches. Des tripes mouillées par la pluie. Des tripes sanguinolentes. Des longueurs et des longueurs de tripes. Tout le monde est trempé en permanence. J’ai les pieds enflés, en sang, dans mes bottes. Pourtant, vues de la base, à une certaine distance, les collines sont rudement jolies. On dirait le jardin d’Eden. Ce qu’elles étaient autrefois pour les gens qui vivent ici. Aujourd’hui, c’est plus qu’un putain de champ de mines. Un endroit que le lieutenant Miller appelle « surréaliste ». J’aime bien ce mot. Cette sensation d’être entre la réalité et l’irréalité.

     

    Mary R. Ellis, Wisconsin

    « Je veux être marin... Espoir... »

    Tags Tags :